mardi 31 juillet 2012

Mortefontaine


On y arrive par une petite route sinueuse longeant les nouvelles constructions, la pépinière, la maison de Florent, séparant les deux châteaux de ce village de quelques centaines d'habitants.
Le soleil n'est jamais très éclatant. Il y a toujours comme un reste de vapeur d'eau accroché aux feuilles des arbres.
Pour aller au centre équestre, il fallait tourner à gauche à la fontaine. Cette fameuse fontaine qui s'est tarie et a ainsi transmis son nom au village.
Je me revoie à 9 ans, morte de peur sur le siège arrière de la voiture, me préparant mentalement à monter à cheval. Mon ventre formaient des nœuds si serrés qu'ils auraient pu servir à attacher un voilier à quai. Je m'escrimais quand même, semaine après semaine, à me rendre à mon cours.
Il y avait déjà en moi la volonté de dépasser ma peur afin de profiter du bien-être évident que les chevaux donnent aux humains.

Trois ans plus tard, j'arrivais une fois encore en voiture, conduite par ma mère. Cette fois-là, la voiture poursuivit sa route et dépassa la fontaine. J'entrais en pré-secondaire, au collège St-Dominique de Mortefontaine. J'y retrouvais une amie d'enfance mais en perdais deux par la même occasion. Il y avait des scooters garés à l'entrée, une véritable procession de voitures, des élèves marchant partout, riant, se racontant leurs vacances. Tout était bruyant, étranger, inquiétant.
J'entamais là cinq années d'une vie merveilleuse. Il y aura les voyages aux États-Unis et en Angleterre; celui décliné de Rome et passé dans un collège aux couloirs quasi-vides; ceux en Allemagne effectués par procuration et superstition.
Les sorties mémorables à Provins avec ce professeur d'Histoire-Géographie dont j'étais follement amoureuse et qui m'y offrit un pain au chocolat, au Parc Asterix avec cet autre professeur de Géographie à qui je tins tête lors d'une discussion animée, à Compiègne enfin avec le professeur d'anglais qui me permit pour la première fois de monter sur les planches.

Ce sera aussi l'époque des premières amours adolescentes. Ces figures masculines idolâtrées et tellement pleurées. Celles qu'on ne voulait pas quitter le vendredi soir, qu'on s'empressait de retrouver après les vacances. Ces garçons trop vieux, trop populaires, trop différents. Mais avec tellement de charme dans leurs blousons Schott's, sur leurs scooters, ou jouant au foot dans la cour de récré. Ces êtres inatteignables qui ne connaissaient même pas notre existence.

Mortefontaine témoignera également des premières mises à l'épreuve. L'intransigeance de quelques professeurs, la méchanceté de certains autres, les moqueries des élèves, les séparations.
Mais ce sera aussi le berceau d'amitiés inébranlables; malgré les différences, les crises, l'âge, l'éloignement. Des amitiés perdues et retrouvées. Des amitiés parfois même plus fortes que les liens familiaux.
L'échange de cadeaux à Noël, les surprises d'anniversaires, les idées farfelues de voyages en roulottes ou en Nouvelle-Zélande, l'échange de bijoux pour conjurer le sort, les repêchages certains matins pluvieux. L'énergie pour créer ce qui deviendrait ma vie: une pièce de théâtre.

Car ce sera surtout ça Mortefontaine. Ces grands espaces verts entourant le collège, nos pensées, nos esprits en formation. Où des artistes comme Corot, Nerval et Musset s'y étaient promenés. Ces châteaux qui accueillirent en leur temps la famille de Napoléon. Ces champs, ces lacs, ces vieilles pierres qui ont connus les grandeurs du siècle romantique. Ses tourments aussi.
L'art, la culture, la connaissance. Comme on ne peut en espérer de meilleure. Le théâtre. La vie. Toutes ces possibilités qui nous étaient offertes. Et ces êtres exceptionnels pour nous guider dans notre apprentissage. Ces hommes et ces femmes qui ont cru en nous, en notre potentiel. Et surtout Patrick sans qui je ne serais jamais devenue la femme que je suis. Ce professeur d'art plastique -cet ami maintenant- qui m'apporta sans sourciller "L’origine de Monde" de Courbet car je ne savais pas ce que représentait ce tableau dont j'avais entendu parler quelques jours auparavant, qui m'offrit deux albums de la Callas pour mes 14 ans, qui ouvrit mon esprit à l'histoire de l'art, à la tolérance, à la poésie. Cet homme merveilleux qui embarqua sans crainte dans l'aventure du théâtre avec moi. Qui m'apprit à peindre (mais pas à construire une lampe...:o), à croire en moi, à rêver. Et qui cautionna donc tous mes châteaux en Espagne.

Mortefontaine sera enfin, pendant quelques temps, une place de réconfort, de bien-être, de recueillement aussi. Là où on retournera bien des années après. Et à laquelle on pensera encore de l'autre côté de l'océan. Celle qui abritera les répétitions des futures pièces de théâtres, qui accueillera les pique-nique, les week-end de camping, les retraites religieuses.


Aujourd'hui, Mortefontaine n'est plus qu'un souvenir.
Un lieu magique à la hauteur des plus belles pages romantiques.
Un espace où j'aime laisser mon esprit se perdre et rêver.

[...] et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière,
Baignant ses pieds, qui coule entre les fleurs;

Jean Baptiste Camille Corot, Souvenir de Mortefontaine (1864)




3 commentaires:

La Souris a dit…

le texte en italique est extrait de "Fantaisie" de Gérard de Nerval (1832).

Mathea a dit…

Merci pour ces souvenirs partagés. J'y replonge avec une émotion certaine... Mortefontaine, le berceau de mon enfance.
Merci.

Agnès a dit…

Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé. Le prince d'Aquitaine à la tour abolie. Ma seule étoile est morte et mon luth constellé porte le soleil noir de la mélancolie...